Excursion à Bienassis – 1883

(d’après Pléneuf et ses environs, Guide du Baigneur de Eugène Danycan de L’Espine)

Prenez le courrier de Pléneuf à Erquy, il s’arrête à huit heures sur la place de Lourmel. A quatre kilomètres du bourg, vous passez près des beaux bois de Bienassis ; descendez de voiture, car le château de Bienassis est remarquable par son architecture, sa belle façade, ses tours, son donjon, ses murs crénelés, ses douves d’eau vive, son esplanade, ses cours et ses avenues.

On ne pouvait mieux appeler ce château, car il est très bien situé, il est bien assis. Une splendide avenue, large comme les Champs Élysées à Paris, conduit à une vaste esplanade. On traverse les douves sur deux ponts, et l’on pénètre par un porche dans la cour d’honneur, entourée de murs à créneaux et bordée des communs, écuries, etc., etc. Il y a près de deux kilomètres entre l’entrée de la grande avenue et le château. Près de l’esplanade, deux beaux wellingtonias, arbres d’essence résineuse.

De belles vaches jersiaises pâturaient un gazon bien fourni et émaillé de marguerites, ces ravissantes compagnes de la verdure. A droite, une pièce d’eau, avec île plantée de peupliers. La porte d’entrée est flanquée de deux tourelles, avec meurtrières. Bienassis est un vrai château-fort. Le général de Lourmel disait à l’aimable châtelaine : « Si la Bretagne était envahie, je viendrais établir mon quartier général chez vous, et je ferais de Bienassis un blockhaus imprenable.» Ce brave général n’a pas eu la douleur immense de voir la France envahie, cette France qu’il adorait et pour laquelle il avait tant de fois versé son sang. La Crimée a été son dernier champ de bataille, et Inkermann sa glorieuse tombe. Il est mort au champ d’honneur.

Un perron à deux rampes en pierres de taille conduit à deux portes par lesquelles on entre au château ; elles s’ouvrent sur une vaste salle de gardes, peinte à fresque. L’escalier de pierre est magnifique, la rampe est en granit sculpté. Le salon d’honneur est immense, il tient toute une aile du château : au fond, une grande cheminée en pierre de taille ; l’intérieur est garni de plantes, de feuillages et de fleurs.

Un joli parterre où je remarquai des rosiers si élevés que je prenais leurs troncs pour des arbres : ils étaient couverts de fleurs parmi lesquelles je reconnus, souvenir de la Malmaison, géant des batailles, et une collection de roses thé.

Le château est bâti sur un ilôt. On me fit monter au donjon, d’où la vue s’étend jusqu’à Jersey que l’on aperçoit très bien avec une longue vue. Je traversai les douves pour me rendre au jardin qui a plus de deux hectares ; il est entouré de murs. Ce jardin est parfaitement planté d’arbres fruitiers et d’espaliers ; les poiriers pliaient sous la charge ainsi que les abricotiers. Un beau cèdre du Liban, des magnolias, des eucalyptus que l’on cherche à acclimater. Cet arbre croît très vite et a des propriétés balsamiques très précieuses ; dans les terrains marécageux, il purifie l’atmosphère. On en a planté des bois entiers, des taillis véritables tout autour du Vatican, ce palais merveilleux des Papes et qui est maintenant leur prison. J’ai vu l’immortel et grand Pie IX se promener dans ses jardins, plantés d’orangers et de citronniers, de lauriers roses et de charmilles. …/…

Le château a une façade très régulière ; aux deux extrémités, de grosses tours ; derrière, donjon et tourelles. Un des pavillons de la cour principale sert de chapelle, l’autre de maison de garde. Sur les douves, des cygnes, des outardes et toute une tribu de canards au riche plumage. …/…

Le bois de Bienassis est vaste et bien percé de beaux arbres de futaie, chênes, hêtres, châtaigniers, sapins, etc. ; des taillis où l’on peu chasser le renard et la bécasse en hiver, les lapins y fourmillent.
Le bois est situé dans trois communes, Erquy, Pléneuf et Saint Alban ; il y a même un carrefour où les curés de ces trois paroisses pourraient s’asseoir à la même table, chacun chez eux, sur leur propre territoire ; c’est assez curieux.

La mer est à trois kilomètres de Bienassis ; la grève la plus voisine est cette belle grève de la Ville-Berneuf ; une jolie route pour y arriver, traverse une poétique vallée. Erquy est à six kilomètres.

Ma description est bien incomplète : mais, malgré bien des lacunes, vous pouvez comprendre ce qu’est ce château où tout se trouve réuni : habitation splendide, bois superbes, eaux vives, grande étendue de terrain, vue immense : c’est bien un séjour enchanteur.

Tout autour de Bienassis, de grandes prairies, plusieurs avenues très longues conduisent à ce château princier ; je ne connais pas de plus magnifique propriété, tout y est grandiose : de nombreuses fermes font partie de cette terre de Bienassis. Il y a deux ans, j’eus la douleur de voir quitter les propriétaires, mes voisins et mes meilleurs amis. Comme on était bien reçu, bien accueilli par ces aimables châtelains qui vous offraient une si cordiale hospitalité ! On avait toujours le désir d’y revenir au plus tôt. Un frère du châtelain est mort député d’Ille-et-Vilaine. C’était un homme de grande valeur, maire de Saint-Servan, et conseiller général de cette ville, où ses funérailles furent un deuil public. Tous ses concitoyens furent recevoir son corps à la gare ; il mourut à Menton dans la force de l’âge. Le cortège suivit les rues de la ville pour se rendre à son domicile. Tous les magasins étaient fermés sur le passage du convoi.
Orateur distingué, s’assimilant avec une grande facilité toutes les questions, le jeune député breton avait acquis à la Chambre une légitime autorité. Certainement, si la mort n’avait pas enlevé cet homme supérieur, un bel avenir lui était réservé et il était considéré comme le ministre du lendemain. Son corps repose dans une chapelle funéraire du cimetière d’Erquy. Son grand-père, brillant général, fut tué pendant la guerre d’Espagne, sous le premier Empire.

Image montrant l’allée et les bois avant la tempête du samedi 17 octobre 1987

Bienassis appartient en ce moment au fils d’une contre-amiral, mort dernièrement, sénateur des Côtes-du-Nord. Les trois frères, nés à Saint Brieuc, représentèrent tous les trois des circonscriptions des Côtes-du-Nord et du Finistère.
Les deux aînés étaient sénateur et député de Brest, le troisième, le contre-amiral, sénateur des Côtes-du-Nord, précédemment député de Saint Brieuc ; cette famille a rendu de grands services à la Bretagne. Le député de Brest fut un agronome distingué ; il avait la ferme école de Trévarey, pépinière où se recrutaient d’excellents fermiers.
Son neveu, le nouveau propriétaire du château, est jeune et à la tête d’une grande fortune ; il peut donc faire beaucoup de bien à Erquy. Il aime beaucoup sa propriété et s’y fixera complètement ; cela se conçoit. En envoyant un salut amical à l’ancien châtelain, je me réjouis de voir ce château habité par un compatriote dont la famille est liée à la mienne depuis cinquante ans.

Contributeur : Sylvie Moret

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