LA FORGE

En haut de la rue Notre Dame et de la rue de l’Horizon Bleu, on trouve quelques maisons à l’abri d’un tertre, parmi lesquelles la « Forge ».Toute la population d’Erquy connaissait ce lieu.

Pierre Morel arrivant de Caulnes, où il était ouvrier, ouvre sa forge en 1926. (1) Cet artisan se verra confier la réparation des machines agricoles, peu nombreuses à cette époque. Le matériel coûtait cher et il fallait qu’il dure le plus longtemps possible :ainsi on battait les épaules, les socs des charrues ainsi que les dents des herses. Les entrepreneurs de bâtiments le sollicitaient pour refaire les pointes de pioches, les maçons pour refaire les burins, les marteaux et les barres à mine. Il fallait un véritable savoir faire pour tremper l’acier, le faire refroidir à l’eau ou l’huile en respectant les différentes couleurs, gage de solidité pour l’outil. Les chevaux de trait étant très nombreux dans les fermes, leur ferrage représentait une activité importante. Ce travail de forgeron était de l’artisanat pur; tout se faisait à la main, le poste à soudures électrique n’existant pas et l’outillage étant limité. Tout se faisait par assemblage-rivetage pour lequel il fallait faire preuve de savoir-faire, ou encore souder a l’aide d’une plaque (procédé très ancien, appelé tablette de chocolat du fait de sa forme). Dans les années 40, Jean apprend le métier auprès de son père. En 1947, Jean réalise un brabant miniature : « Pas de soudure, que du travail de forge ». Il sera récompensé par le deuxième prix de la foire exposition de Saint Brieuc .

Dans les années 1950, j’allais très souvent à la forge avec mes sœurs et nous étions très admiratifs de voir Pierre et Jean ferrer les chevaux. Quand ils posaient le fer rouge sur le sabot des chevaux et que l’odeur de la corne brûlée nous prenait à la gorge et nous piquait les yeux, nous pensions à cette pauvre bête. Nous imaginions que ce cheval devait avoir très mal en particulier quand ils enfonçaient les clous à tête carrée( caboche) avec une adresse qui nous stupéfiait. Le ferrage était nécessaire pour le bien être de l’animal. Un jour j’ai demandé à Jean pourquoi il mettait des fers aux sabots des chevaux, il m’a répondu : «le fer, c’est ça chaussure. Il faut qu’il soit bien posé sinon le cheval risque d’avoir des problèmes, et son travail sans ressentira. Beaucoup de maréchaux-ferrants possédaient un « travail » (voir photo), appareil destiné aux chevaux récalcitrants. La forge n’en possédait pas. Le ferrage était dangereux car certains animaux pouvaient avoir des réactions comme la distribution de coup de sabot. Nous devions regarder, sans parler ni bouger, pour ne pas effrayer l’animal. Sinon Pierre nous grondait et nous demandait de partir.

Pierre et Jean ferrant un cheval au « travail »

Nous sommes allés un nombre incalculable de fois regarder Pierre tirer sur la chaîne du soufflet pour attiser le foyer de la forge où Jean mettait le fer à rougir afin de pouvoir le travailler sur l’enclume siégeant au milieu de la forge. Des étincelles jaillissaient de ce morceau de fer rouge travaillé sur l’enclume par les violents coups de marteaux de Jean des étincelles jaillissaient.

L’enclume de 1926

Le soufflet de 1926

Avec le développement de la pêche, la forge Morel est sollicitée par les marins-pêcheurs pour l’équipement des bateaux : rouleaux pour relevage des dragues, portiques, ou encore dragues à praires dans un premier temps, puis dragues à coquilles saint-Jacques. .

Dragues à praires et à coquilles Saint- Jacques

Avec le développement de la pêche, la forge Morel est sollicitée par les marins-pêcheurs pour l’équipement des bateaux : rouleaux pour relevage des dragues, portiques, ou encore dragues à praires dans un premier temps, puis dragues à coquilles saint-Jacques. Drague à praires drague coquilles saint- jacques.

« Jean aimait raconter : j’ai fabriqué la première drague en 1961. C’était une demande faite par un pêcheur, Maurice Allain des Hôpitaux.Il m’a emmené en voir une sur un bateau de Port-en-Bessin qui était au mouillage au port d’Erquy. J’ai simplement jeté un coup d’œil et j’ai fait un modèle. Par la suite les demandes n’ont pas cessé. Le dimanche, il y avait la queue devant la forge pour passer commande .Nous ne connaissions pas les semaines de 35 heures. Je ne pouvais pas les faire toutes, j’ai montré comment faire à François Talbourdet,qui était forgeron à La Couture, puis à Jean Denis de Matignon pour les marins pêcheurs de Saint Cast. Jean estime avoir réalisé 600 dragues au cours de sa carrière; Jean en a réalisé pour l’Angleterre et île de Jersey »( texte de Lionel Rioche dans Erquy ,les gens,la ville de 2003).

La famille Morel et quelques très bons amis avaient une autre passion : la pêche à pied. Aux grandes marées les activités de la forge s’arrêtaient et ils partaient avec des des perches munies de« crochets » de plusieurs mètres de longueurs. Les trous dans les rochers comme à Croube, Papillon, la Fosse Eyrand, etc… n’avaient pas de secret pour eux et en fin de marée les homards,les congres et les ormeaux étaient au rendez vous. Comme la concurrence était rude, les endroits étaient jalousement gardés, à cette époque beaucoup de familles issue surtout du monde agricole pratiquaient cette pêche, j’ai eu l’occasion de faire quelques marées avec eux un souvenir inoubliable. Parallèlement à la forge, Elise, épouse de Pierre exploitait une petite ferme deux vaches, un cochon, des poules, des lapins… Le lait était transformé sur place, je revois encore cette baratte de bois en mouvement actionnée par un moteur électrique. Le soir nous allions chercher du lait ribot avec notre pot à lait du lait, avant de partir, Elise nous appelait dans la cuisine, où la cuisinière était toujours allumée, été comme hiver, et où sur le coin du fourneau un grand faitout en émail était rempli des cailles. Elle prenait notre pot à lait et nous mettait deux ou trois grandes louches de ce délicieux produit. Elise était une très bonne personne qui aimait les enfants. Dans sa maison il faisait bon vivre et c’était toujours un plaisir pour nous d’aller chercher notre lait. Que de bons moments passés Aujourd’hui l’atelier, bien qu’ayant traversé la route, est toujours tenu par la famille Morel .

(1) Quand Pierre Morel est allé à Lamballe en vélo en 1926 pour faire l’achat de son enclume il lui manquait 1 franc il est donc revenu à Erquy et retourné à Lamballe toujours en vélo avec l’argent manquant afin que l’enclume soit acheminée sur la forge.

Christian Frémont

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