Le 6 juillet 1969, une tempête mémorable !

Ce jour-là, les prévisions météo étaient bonnes : régime anticyclonique !

Mais le baromètre chuta brutalement de 1025 à 1005 mb. Subitement, vers 21 heures, une tempête se déclencha en quelques minutes, le vent se mit à souffler du sud puis s’orienta Noroît passant de Calme à Ouragan, subitement de 4 à 88 nœuds. On releva 166 km/h à Brest, 157 km/h sur l’île de Batz (force 12 sur l’échelle de Beaufort.)

Récit : une fin de croisière pas comme les autres …

Philippe Goerger, équipier à bord du Golif de Georges Dagorne se souvient …

« Depuis quelques années, je naviguais l’été à Erquy avec Georges Dagorne sur son voilier de type Golif. Les anciens doivent se souvenir de Georges car il avait un problème aux jambes et se déplaçait difficilement sur un rudimentaire tabouret à roulettes de sa fabrication.

Comme il était passionné par la mer, ce handicap ne l’empêchait pas de naviguer régulièrement : les embarquements sur l’annexe puis sur son bateau étaient parfois périlleux et en navigation je l’aidais pour les manoeuvres.

Le Golif est un petit voilier et néanmoins un bon canot puisque Jean Lacombe a couru en 1964 la transat anglaise en solitaire à son bord.

Le Golif est un bateau qui a été construit à 1000 exemplaires : longueur : 6,50 m, largeur : 2,30 m, hauteur du mât : 9,50 m

 A cette époque, la navigation se faisait au compas, au loch et à la sonde.

Pour suivre sa route, on reportait méticuleusement la position estimée sur la carte papier … il fallait bien connaître les courants et calculer les hauteurs d’eau, le rythme et la période des phares, les alignements pour les atterrissages, bref, avoir un bon sens marin !

Il n’y avait pas beaucoup d’aide à la navigation : pas de radio VHF, pas de pilote, pas de GPS, pas de cartographie électronique, pas de radar en cas de brume.

Sur le Golif nous disposions d’un radiogoniomètre rudimentaire qui nous permettait de relever le gisement des radiophares à l’aide d’une antenne ferrite couplée à un compas …une pratique qui ne s’avérait pas toujours aisée quand on en avait besoin surtout par mer agitée !

Pour faire un point, il fallait authentifier trois émetteurs par leur indicatif et leur fréquence d’émission puis lire le plus précisément possible et rapidement le compas, tout cela sur un petit voilier de 6,50 m qui était secoué dans tous les sens.

 Pas question d’avoir le mal de mer !

L’avitaillement pour nos départs en croisière était réduit à l’essentiel faute de réfrigérateur et de place : un sac de pommes de terre, des oignons, des œufs, un bloc de lard fumé, du pain, du beurre, du vin.

Nous avions toujours une traîne à l’eau et nous étions contents de pouvoir compléter notre repas avec quelques maquereaux.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    

Le 6 juillet 1969, nous étions de retour d’une semaine de navigation dans les îles Anglo-Normandes sur le Golif, arrivés en fin d’après- midi à mer basse, nous étions tranquillement au mouillage par temps calme, devant l’ancien port d’Erquy pour attendre la marée à quelques centaines de mètres du CVE, le club de voile d’Erquy.

Après avoir dîné, je préparais la grand-voile pour pouvoir regagner notre emplacement dans le port.

C’est à ce moment que le vent s’est levé et s’est déchaîné, j’ai juste eu le temps d‘affaler et de rabaner la grand-voile avant que l’on se mette à déraper du milieu de la baie vers les rochers de la pointe de la Heussaye …

Tout a été très rapide : j’ai sorti toute la chaîne de la baille à mouillage, sans effet. Nous dérapions toujours vers les rochers, le vent hurlait, le bateau se couchait, nous embarquions de l’eau …

J’ai démarré le petit moteur hors-bord de 2,5 cv et tourné la commande en avant maximum, nous reculions toujours et nous approchions dangereusement des enrochements où les grosses vagues venaient s’écraser.

Il faisait nuit, il pleuvait, le pont était balayé par les vagues, j’ai récupéré Georges qui était tombé au fond du cockpit et je l’ai attaché …

Entre temps, notre ancre avait enfin croché dans les premiers rochers de la pointe, nous étions bloqués à quelques mètres de la falaise.

Très inquiets sur la capacité de résistance de notre petite chaîne et dans l’impossibilité de faire face à cette tempête furieuse, nous avons décidé d’appeler au secours et pour cela de lancer nos fusées de détresse …

Comme la plupart des plaisanciers j’imagine, Georges comme moi n’avions jamais lu le mode d’emploi ! Dans notre situation de détresse, ballotés dans tous les sens, dans la nuit, sous la pluie et les vagues, ce n’était plus possible ! Sans maîtriser l’engin, j’ai décapsulé le premier tube de fusée parachute et arraché la goupille … aucun résultat immédiat ! Juste le temps de penser qu’elle était HS et de saisir la deuxième fusée et  la première me pète dans les jambes et tombe à l’eau … sans effet .

Pour la deuxième fusée, je l’ai saisie fortement, l’ai tenue verticalement reproduisant la même procédure. Elle part bien, monte dans le ciel mais très vite disparaît derrière la Heussaye, rabattue par les rafales de vent … sans effet !

Il ne nous restait plus qu’une fusée, la dernière ! Celle-là, je l’envoie horizontalement en direction du port et enfin nous avons été repérés.

Fort heureusement, Pierre Le Guen et Pierre-André Lechat, qui devaient être vigilants, prirent la mer sans hésiter malgré les conditions dantesques et sont arrivés à bord des chalutiers l’Océanide et le Chaton pour nous sortir de cette très périlleuse situation.

La manoeuvre était très risquée car nous étions bloqués perpendiculairement par notre ancre et la chaîne à quelques dizaines de mètres de la falaise.

Pour nous envoyer une haussière de remorquage, le Chaton devait s’approcher au plus près de nous malgré les énormes vagues et ce vent furieux, sans se prendre dans notre mouillage et sans se faire drosser à la côte.

Accroché d’une main à l’avant du bateau régulièrement sous l’eau, ébloui par le projecteur du Chaton, je n’ai pas pu fixer la première haussière qui m’avait été habilement lancée ; compte tenu des risques que nos sauveteurs prenaient, je savais qu’il n’y aurait qu’un seul autre passage. Heureusement, le deuxième essai fut le bon.

J’amarrai solidement le bout récupéré à tout ce qui me semblait solide et le Chaton nous ramena à bon port …

 Eternels remerciements à ces sauveteurs. »

De nos jours, le bateau de sauvetage de la SNSM basé dans le nouveau port assure avec un équipage de bénévoles les secours en mer.

Philippe Goerger, petit-fils du commandant Nabucet, ancien Cap-Hornier, a parcouru depuis cet événement plus de 60 000 miles, plusieurs transats et connu le Pacifique sans jamais rencontrer des conditions aussi terribles !

                   6 juillet 1969 : du côté des sauveteurs.

 Sauvetage du Golif et du Mousquetaire. 

Loïck le Guen était à bord de l’Océanide … Son témoignage :

« Le 6 juillet 1969, c’était un dimanche, mon épouse et moi dînions chez mes parents au 62 rue du port. A 20h30, nous nous apprêtions à suivre le film du dimanche soir à la télé.

Soudain l’électricité se coupe, mon père ouvre la fenêtre et m’appelle d’une façon inhabituelle : « regarde, tu ne reverras sans doute jamais ça de ta vie … »

C’était le début de l’ouragan, la mer montait, nous étions à mi-marée et par-dessus le vieux môle nous voyions arriver des vagues énormes, toutes déferlantes ; le ciel était gris, la mer toute blanche …

D’un seul coup, le vent décupla de force, ma mère et mon épouse regardaient à l’autre fenêtre, tous les quatre nous étions figés devant ce spectacle qui ne présageait rien de bon !

Tout à coup, une fusée rouge jaillit vers l’extrémité de la pointe de la Heussaye puis quelques secondes après une deuxième, un peu plus loin …

Ni une ni deux, nous voilà partis tous les deux à toute vitesse, sans trop parler mais en faisant défiler dans nos têtes les manœuvres qui devraient se succéder pour partir avec notre bateau Océanide.

Les bottes, le couteau, l’échelle, le doris, les tolets, les avirons, le mouillage, l’embarquement, les béquilles, la mise en route, le dégagement du tangon …

Dans la précipitation nous embarquons avec nous un ami marin-pêcheur, Daniel Leduc, qui se trouvait là par hasard. En quelques minutes, nous voilà partis tous les trois ; le moteur « Bolinders » n’avait pas eu le temps de chauffer et je savais que nous n’avions pas beaucoup de gas-oil ! Peu de paroles mais déjà beaucoup de stress.

En dépassant le bout du quai au pied du phare, nous prenons une déferlante par le travers tribord et nous embarquons de l’eau plus haut que nos bottes sur toute la longueur du bateau. Le bateau s’alourdit le temps que les dallots évacuent la charge avant de retrouver un juste équilibre.

À ce moment, nous avons compris que ce qui s’annonçait n’allait pas être une partie de plaisir et que nous allions devoir nous battre !

Pour amortir les déferlantes, mon père à la barre dans la cabine arrière gouvernait de façon à bien prendre bout à la lame pour éviter de remplir à nouveau et surtout pour ne pas chavirer.

Nous avancions progressivement vers les bateaux en détresse et anticipions les manœuvres de secours.

J’ai reconnu les deux voiliers ; je connaissais les équipages : un Mousquetaire et un Golif armés par des plaisanciers rhoeginéens.

« Dans la précipitation du départ nous n’avions pas pris de cirés, quant aux gilets de sauvetage, ils sont restés bien au chaud dans la cabine avant du bateau.

En arrivant près du premier bateau, le Mousquetaire qui était au mouillage et moteur embrayé pour éviter d’être drossé, nous avons pris conscience que nous ne pourrions pas sauver les deux bateaux car le Golif était tout près des cailloux et nous pensions qu’aucun marin ne prendrait ce risque vu le danger !

Soudain derrière nous arrivait le bateau « Chaton » aux commandes et à la barre Pierre Le Guen (Pierre-André Le Chat avait laissé sa place à Pierrot et assumait la préparation d’un éventuel remorquage).

Pierrot n’avait jamais piloté ce bateau et pourtant il n’a pas hésité une seule seconde pour tenter l’impossible !

Mon père, Michel, voyant cela a fait un malaise et a chuté dans la cabine ; je me suis alors précipité, j’ai pris la barre et essayé de faire au mieux.

Nous avons lancé notre orin de mouillage par l’autre bout sur le pont du mousquetaire en espérant que Roger Conan que nous avions reconnu et qui était le skipper puisse se saisir de l’orin afin que nous puissions le remorquer.

Mon père, qui avait repris des couleurs, criait à Conan de couper son propre mouillage afin de nous libérer et de commencer à remorquer …

Roger Conan n’avait pas de couteau sur lui, ce qui mit mon père en colère !

Enfin le mouillage a été largué et j’ai pu commencer la remorque en direction du phare. »

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