Le goût de la fête n’est pas nouveau. De villes en villages, parmi les riches et les pauvres, tous ont goûté au pain des réjouissances et en ont pétri leur farine. Toutes nos contrées, tous nos hameaux ont savouré cet aliment vital et l’on peinerait à restituer la diversité et l’inventivité de nos prédécesseurs. Beaucoup étaient des fêtes religieuses (processions, rogations, fêtes des saints et des confréries) mais le divertissement et la coutume n’en étaient jamais exclus. Les périodes où l’on chômait étaient fréquentes… L’ardeur paysanne à affronter les tâches les plus pénibles était récompensée par les banquets des moissons et des batteries. Ainsi, tout était prétexte à se réunir en « assemblées », à veiller avec les voisins au coin du feu, à dire des contes, à jouer aux cartes, « le jeu de la vache » connaissait alors un grand succès. Les femmes filaient et devisaient gaiement… Ainsi s’écoulaient les jours et les soirées.
Dans nos villages, avant les années 1950, les récepteurs de télévision n’étaient guère nombreux, aussi allait-on se divertir au cinéma. A L’Eden, la salle était toujours pleine et il fallait se hâter si l’on voulait bénéficier d’une place correcte car il n’y avait pas de plan incliné. N’empêche, tout le monde partageait joies et peines et certains laissaient éclater des éclats de rire et des bons mots qui réjouissaient grandement le public. Ainsi, tous participaient au spectacle !
On était friand de divertissement et l’on s’écrasait sur les trottoirs en attendant le passage de la clique et des cercles celtiques. Erquy avait aussi son bagad et l’on acclamait musiciens et danseurs qui se retrouvaient au parc des sports avec d’autres groupes. Janick chantait en s’accompagnant de la vieille et la bombarde et la cornemuse faisaient vibrer de plaisir tous les Réginéens. Dans les rues, les groupes étaient nombreux et parfois insolites derrière leurs drapeaux, yougoslaves, écossais. Le groupe de « Qui qu’en grogne » derrière ses dogues, évoquait l’histoire de saint Malo et criait sa devise « En avant…Quic !


Le bagad

Groupe Bavarois
Sur le port, c’était aussi la fête des régates et l’on gravissait le parapet pour voir courir les bateaux. Plus tard, en fin d’après-midi, on lâchait les canards et les baigneurs se jetaient à l’eau pour capturer l’un de ces volatiles martyrs… Il y avait aussi des courses de chevaux, des parcours de chars…
Au parc des sports, on se disputait ardemment le ballon et l’on invitait même des vedettes par l’entremise de Pierre Tillon, « le vainqueur de Sedan . Il y eut aussi de nombreuses kermesses qui migrèrent ensuite sur les pelouses du Noirmont…
Certains divertissements étaient complètement insolites et stupéfiaient le public. Les fameux « cosaques djiguites » voltigeaient, suivant la « djigitovka » (mot turc désignant un jeune cavalier habile), c’est-à-dire, une pratique équestre en ligne droite ou en cercle. Lancé dans un galop rapide, le cavalier exécute ses figures, puis revient en selle et arrête son cheval au bout de la ligne. Ces cavaliers mettaient à la disposition de la puissance russe cet art martial de haute voltige hérité des circassiens. En veste rouge, bottés, coiffés de la toque en fourrure, ces acrobates audacieux exécutaient des pyramides à trois ou huit cavaliers…
On se souvient peut-être que des artistes prestigieux ont donné des spectacles au parc des sports : C’est ainsi que le danseur et chorégraphe d’origine russe, Serge Lifar, soliste des ballets russes et élève de Diaghilev, fit évoluer sur la scène, un groupe de danseurs de l’Opéra de Paris. Orchestré par la musique de Bizet, la scène fut également occupée par la fameuse Arlésienne dont on parle toujours mais qu’on ne voit jamais…
Parfois, des artistes étonnants se produisaient dans la rue. Je me souviens de cette troupe de funambules qui, devant un public abasourdi, avait relié leurs câbles, de la rue Clémenceau au clocher de l’église, spectacle stupéfiant qui tendait l’atmosphère, aussi bien celle des acrobates que des badauds.
Au Guen, sur le futur emplacement du village de Lanruen se déroulait un fameux motocross. Les moteurs vrombissaient en même temps que le cœur des spectateurs impressionnés par les exploits des frères Le Dormeur qui pratiquaient la haute voltige sur leur machine infernale. Il fallait les voir, ces acrobates prêts à tous les risques, la taille sanglée dans leur large ceinture de cuir noir d’où émergeait un t-shirt humide et baigné de sable poussiéreux. D’un preste coup de botte, ils gravissaient les pentes les pus rudes en laissant derrière eux les larges sillons tracés par leurs roues.

Le bord de mer était naturellement fréquenté par de nombreux forains. C’était l’époque où la grande dune déroulait ses vagues de sable parmi les oyats. On pouvait sauter les promontoires des caps les plus élevés et se cacher dans les tranchées creusées par le flot. Beaucoup venaient s’y abriter par grand vent…Lorsqu’on bétonna la digue, j’eus l’impression que le ciment, parvenu à mi-plage, en dévorait la moitié ! De petits cirques et de grands chapiteaux…

Je ne sais plus trop où se logeait leur énormité ! Le parfum du cirque me semblait fabuleux : c’était un panaché d’odeurs violentes, où se mêlait de la poudre de sable et de sciure, une odeur de bêtes fauves, les éclaboussures de la voix des trompettes et accrochés au sommet du mât, des trapèzes et des cordages, reliés entre eux. Les gradins circulaires rappelaient ceux du cirque antique et lorsqu’on entendait le rugissement d’un fauve emmuré dans son étroite cage à barreaux, je ne pouvais m’empêcher de m’incliner avec inquiétude sur le gouffre noir qui s’ouvrait sous nos pieds. Les clowns et les ouvreuses distribuaient des cacahuètes et des esquimaux. A peine le spectacle s’achevait-il que les équipes démontaient le chapiteau sans s’occuper de la cohue qui évacuait le cirque.
Il y eut pendant quelque temps d’autres chapiteaux qui rassemblaient un nombreux public mais dans ceux-ci, point de bêtes fauves, point d’harmonie ni de fanfares aux couleurs bariolées…
Le cirque Spirou, je crois, cirque de vacances fondé par Jean Nohain amusait petits et grands avec son fameux ventriloque Jacques Courtois qui animait ses marionnettes aux boniments cocasses comme Omer, et son canard…



Dans un registre plus sérieux, le cirque prêtait aussi sa toile à des spectacles inspirés par des œuvres plus sérieuses. Fondé par Jean Danet en 1959 et repris par Marcel Maréchal à partir de 2001, Les Tréteaux de France avaient pour mission de partager les grandes œuvres théâtrales avec tous les publics et d’abord avec les moins favorisés, des provinciaux non habitués au grand répertoire et qui n’avait pas l’occasion de se rendre dans la capitale ou dans une grande ville.

Le terme « tréteaux » renvoie en effet à la tradition de l’ancien théâtre, celui de Molière, des farces et du théâtre de foires, réservé au peuple. C’était aussi l’une des premières expériences de décentralisation dramatique, mettant en scène un répertoire de haute exigence artistique à travers tout le pays. L’État en fera un centre dramatique national en 1971. En 2011, Robin Renucci sera nommé directeur des « Tréteaux de France ». Citons quelques pièces : Ubu Roi, interprété par Pierre Doris, L’Otage de Paul Claudel, Othello de Shakespeare, La putain respectueuse de J.P Sartre, des pièces d’Audiberti et puis une évocation dramatique d’Alain Decaux et Stellio Lorenzi qui fit grand bruit : Les Rosenberg ne doivent pas mourir. Exécutés en 1953 sur la chaise électrique, Ethel et Julius Rosenberg, juifs communistes, accusés pour haute trahison à l’époque du maccarthysme furent exécutés malgré les protestations générales, Julius de trois injections et Ethel de cinq… Un spectacle qui bouleversa le public avec la formidable interprétation de Sylvia Monfort sur la scène des Tréteaux.
N’oublions pas le petit manège Figuier, d’abord installé à l’entrée du Goulet, près des anciens tennis, puis tout prés du port. D’après Christian Frémont, il a été précédé par le manège Robert. Espérons qu’il réjouira encore quelque temps les enfants.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur l’abondance et l’intérêt de ces fêtes et spectacles. Je pense que tous, avons en mémoire des moments que nous gardons précieusement dans nos souvenirs. Brigitte Maurer raconte comment elle se réjouissait de ces fêtes où l’on exhibait les animaux dans les rues pour attirer le public, ce qui est encore parfois le cas aujourd’hui. Les stands forains où les joueurs chevronnés gagnaient « à tous les coups » malgré la mauvaise humeur des patrons faisaient aussi son grand plaisir. Même si les cousins citadins interdisaient ce genre d’attraction où l’on récoltait soi-disant des puces…
Les petits cirques étaient nombreux et certains ne pouvaient s’offrir le luxe d’un chapiteau ! Je me souviens de cette petite piste dressée sur la dune, parmi les oyats. Une gamine un peu maigrichonne y répétait son numéro de funambule en faisant des grâces. Il était midi. La famille s’entraînait au jonglage et à l’acrobatie tandis qu’un gros boa lové sur lui-même, profitait de l’ardeur des rayons pour s’adonner à la volupté du repos et sans doute d’une excellente digestion.
Liliane Lemaître