Au début du 20ème siècle, Erquy a déjà amorcé sa mue de petite bourgade de pêcheurs en station balnéaire ; et les projets immobiliers vont bon train…
C’est ainsi qu’en juin 1914, le maire Jean Dobet observe devant son Conseil Municipal l’existence d’une spéculation sur les terrains de la garenne naguère dépourvus de valeur et qui font depuis quelque temps l’objet d’acquisitions diverses à des prix inconnus jusqu’à ce jour et même inespérés. Situation à vrai dire étonnante pour des terres frappées de servitude non aedificandi (et donc inconstructibles) en raison de la proximité du sémaphore dont il convient de sauvegarder la visibilité depuis la mer. On imagine aisément que ce soudain engouement pour des parcelles jusque-là peu recherchées n’était pas le fruit du hasard : l’idée de construire sur la garenne avait de longtemps déjà dû murir dans quelques esprits…
Quoi qu’il en soit, le maire estime inadmissible que des propriétaires soient de privés de la libre disposition de leurs biens ; inadmissible et infructueux même pour la collectivité, puisque s’ils étaient autorisés à construire, ils augmenteraient par là-même la valeur de leur terre et donc l’impôt auquel ils se verraient soumis : la commune – dont la situation budgétaire est loin d’être brillante – y gagnerait, le département et l’Etat aussi. L’argument est séduisant – presque pernicieux, faisant du sémaphore l’empêcheur de tourner en rond ; et la conclusion s’impose au Conseil qui demande dès lors à l’Administration compétente d’intervenir : il suffit de surélever le sémaphore – ou mieux encore de le déplacer sur un point extrême de la côte…
On se doute que, pendant les quelques années qui suivirent (nous sommes, rappelons-le, en 1914), l’Administration eut d’autres préoccupations que le transfert du sémaphore d’Erquy… Mais le projet, inchangé, reparaît en 1926 ; soit refus de l’Administration, soit précarité des finances de la commune, il restera cependant lettre morte… On aurait pu craindre que la destruction du sémaphore à la fin de la guerre ne rouvre le débat ; il n’en a rien été et désormais la garenne, devenue domaine départemental, est – en principe – à l’abri des projets immobiliers…
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Quelques années plus tard, en 1934, le bord de mer est quant à lui déjà largement bâti de nombreuses villas entourées de parcs spacieux et qui, pensent-elles, se sont réservé une vue imprenable. Mais c’est compter sans l’Administration des Domaines qui se verrait bien vendre une partie du lais de mer en vue de… construction.
Le Conseil Municipal réagit vivement à ce projet. Depuis plusieurs années, objecte-t-il, les marées d’équinoxe poussées par des vents violents, grignotent la dune – qui, évaluée en 1930 à 30 000m2, a perdu en quatre ans au moins 15% de sa surface et il est probable que les choses empireront encore à l’avenir. On ne peut donc que redouter le manque de stabilité d’éventuelles constructions sur cet espace et donc l’absence d’acquéreur pour des terrains appelés à être rasés tôt ou tard par la mer. Accessoirement, le Conseil Municipal fait valoir le préjudice qu’apporterait aux actuels riverains le lotissement de de la dune… On se prend à rêver sur ce qu’aurait pu donner un tel projet qu’il avait été conduit à son terme…
Claude Spindler et Bernard Besnier