(source Le Marin, journal du 29 août et Jours de France du 27 août)
Triste jour que ce mardi 19 août 1969, le pétrolier « Gironde » de la Compagnie Européenne d’Armement était abordé par le navire israélien « Harbashan ». Par l’importante brèche située à tribord s’écoulait à la mer un filet d’hydrocarbures estimé à 1.500 tonnes. Le lieu de la collision se trouvant à environ 20 milles dans le nord de l’île de Bréhat.
De toute évidence, tout au moins pour ceux qui ont quelques connaissances des choses de la mer, la nappe devrait venir s’échouer sur les côtes bretonnes. En effet, dans cette région les vents dominants sont du secteur ouest et nord ouest et engendrent des courants de surface appréciables.
Le lundi 25 août, à la marée du soir, la plage de Caroual était souillée puis les jours suivants toute la région d’Erquy était touchée.
Les mesures prises ? Un avion a pu « escorter » la nappe permettant de mieux la situer et dès le cinquième jour, deux unités de la Marine Nationale sont intervenues.
Mais un dragueur et un remorqueur qui déversent de la craie sur une pellicule d’hydrocarbures de dix kilomètres de long sur un de large peuvent-ils avoir des résultats appréciables ?
Il restait à faire appel aux bonne volontés. Lundi, des pêcheurs du port d’Erquy ont appareillé pour verser de la sciure de bois apportée en hâte (chargé sur les chalutiers par les pompiers d’Erquy sous les ordres du Commandant Morel, directeur départemental des services d’incendie et de secours des Côtes-du-Nord et de l’Adjudant C. Lefaucheur, chef de corps du centre de secours d’Erquy).
Chalutier Brin d’amour patron Pierre Le Duc
Les sacs de sciure sur le port d’Erquy
Puis ensuite les riverains ont pu, avec l’aide de tous les bénévoles, commencer le nettoiement des plages et des rochers. Des fosses ont été creusées dans divers endroits des dunes pour entreposer le mazout récupéré par les bénévoles.
Craie et sciure de bois ont été utilisées de la même façon que lors du naufrage du « Torrey Canyon »et les résultats sont sensiblement du même ordre, c’est-à-dire peu probants. Alors, pourquoi ne pas employer des produits tels que le « Corexit 7664 » ? Depuis quelques mois nous en connaissons l’existence, mais il aurait fallu le faire venir de loin. Question de prix penserez-vous mais dans le cas présent, connaissant l’origine du méfait il est peut-être possible de faire régler les dépenses par le responsable de la collision.
Une dernière question : Que se serait-il passé si l’abordage avait concerné un géant de 300.000 tonnes ou plus ?
Mieux vaut ne pas y penser.
Mais cette marée noire d’importance réduite pourra peut-être inciter les pouvoirs publics à prendre les mesures qui s’imposent avant que « les bonnes volontés » ne deviennent de plus en plus rares.
En septembre, le journal Le Marin continue d’informer sur « le mazout dans la baie et les conséquences » : La plage de Caroual a été nettoyée avec le concours d’environ 500 hommes de troupe, venus de Rennes et de Dinan, des sapeurs pompiers de plusieurs localités (une soixantaine) et des volontaires, dotés de pelleteuses, de bulldozers, de camions et de citernes, mais aussi de petit matériel hétéroclite et de relative efficacité.
C’est encore une chance que la nappe visqueuse ne soit allée empuantir que quelques endroits surtout fréquentés par les touristes.
A part quelques oiseaux de mer découverts englués, la faune marine ne semble pas avoir souffert.
De grandes tâches brunes, qui parurent au fond de la baie de Saint Brieuc, pouvaient causer quelque inquiétude au sujet des bouchots à moules, situés à proximité. Toutefois pour le nettoyage des rochers, galets et sables souillés, l’administration des affaires maritimes, en accord avec l’institut scientifique et technique des pêches maritimes, a préconisé des mesures appropriées à la sauvegarde des gisements naturels des praires, moules et coquilles Saint-Jacques se trouvant non loin de là, sur lesquels de nombreux pêcheurs travaillent une grande partie de l’année.
Bien que grave, cette nouvelle marée noire a limité ses méfaits. Elle ne pouvait d’ailleurs être comparée à celle provoquée par la perte du « Torrey Canyon » en avril 1967, dont les traces apparaissaient encore il n’y a pas si longtemps, en certains endroits du littoral des Côtes-du-Nord. En début de semaine, toutefois, des inquiétudes se manifestaient du côté du Val-André, après une alerte entre Planguenoual et Hillion où est implantée la mytiliculture.
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Jeanine C. se souvient : Ce mardi-là, je revenais d’une balade à vélo avec quelques amis et le cousin Yves qui avait installé son transistor sur son guidon. Quand nous sommes arrivés sur la corniche, nous n’en croyions pas nos yeux : tout était noir, le ciel, la plage, les rochers, les vagues déferlaient avec puissance. Les gens arrivaient de partout, souvent ils pleuraient de voir une telle désolation, les oiseaux s’engluaient dans le mazout. Yves a dit : « cet après midi, nous avons pédalé avec Johnny, Claude François, Sheila et ce soir nous voilà dans un film d’épouvante ».
Malgré le travail de nettoyage, des années après, des plaques de mazout ressortaient sur les plages, il n’était pas rare d’en trouver sur les serviettes de bains et sous les pieds. Cela faisait fuir les touristes.
Jeannette L., se souvient également :
Nous sommes allés avec les enfants sur la plage de Caroual voir cette épouvantable marée moire, les oiseaux qui se posaient sur la mer ne pouvaient plus s’envoler. J’avais mis ma gabardine neuve et mon fils Daniel a jeté un caillou dans la mer, celui-ci a éclaboussé le vêtement qui est devenu moucheté noir à vie !
Contributeur : Christian Frémont