L’origine du nom d’Erquy

Etonnement d’un voyageur

Me rendant il y a peu de Salerne à Amalfi, lors d’un séjour en Italie, j’avais remarqué avec amusement le nom de la jolie bourgade d’Erchiè (prononcé Erqui-è à l’italienne), adossée, les pieds dans l’eau, à la falaise ; je n’y pensais déjà plus lorsque à deux ou trois kilomètres de là, surgit au détour de la route une borne qui signalait au passant l’existence dans ces lieux d’une antique Rheginna. Au dix-neuvième siècle, un touriste originaire de notre commune n’aurait pas manqué de tirer toutes sortes de conclusions de cette apparente coïncidence qui faisait d’Erchiè l’héritière de Rheginna comme Erquy l’était, pensait-on, de Reginea.

On est plus prudent aujourd’hui, et la toponymie a cessé d’être une science (si l’on peut dire) de l’à peu près. Chacun sait désormais ce qu’il en est de notre supposée Reginea – qui résulte d’une mauvaise lecture, par le Président de Robien au 18ème siècle, du Reginca de la Table de Peutinger, cette carte antique des distances dans l’Empire romain, copiée et recopiée au Moyen-Age et finalement recueillie par un érudit de la Renaissance.

peutinger

Extrait de la Table de Peutinger. On reconnaît les noms de Condate (Rennes), Fanomartis (Corseul) et Reginca.

Une étude déjà ancienne puisqu’elle remonte à 1974, a démontré que ce nom gaulois de Reginca, qui signifie « cours d’eau » et a donné celui de la Rance, s’appliquait non pas à Erquy mais à une localité située sur cette rivière en un lieu que l’archéologie n’est pas encore parvenue à déterminer. Cette révélation qui remettait en cause deux siècles de certitude n’a pas empêché en 1976 le Journal Officiel d’entériner l’appellation des habitants d’Erquy comme « Réginéens » (autre version de « Rhoeginéens » que le même Journal Officiel avait autorisé en 1955 au moment où André Cornu siégeait à la mairie) ; elle ne contredit pas non plus d’ailleurs l’antiquité d’Erquy, attestée par la présence de vestiges gallo-romains sur la commune, qu’a pu voir et décrire M. de la Pylaie vers 1840.

Beaucoup d’incertitude aussi règne quant à l’étymologie du nom d’Erquy. On s’est à vrai dire longtemps donné beaucoup de mal pour l’expliquer sans parvenir à rien de bien concluant. Et c’est au breton qu’on a cru devoir recourir : Er Gwic, Ar c’herregi, Ar cae. Ce qui frappe dans ces propositions ce n’est pas tant l’idée d’une possible origine celtique (qui n’a rien d’invraisemblable, on va le voir) que la fabrication elle-même de ces étymologies. Le cas d’Er Gwic est le plus frappant. Partant de l’antiquité présumée d’Erquy, on essaie de trouver une formule phonétiquement proche qui puisse la rappeler – et quoi de plus romain que l’aigle des légions ?  Ce sera donc donc « Er Gwic », c’est-à-dire « le village de l’aigle » (qui semble supposer qu’on ait découvert dans un champ une enseigne romaine, pareille à celle qu’on voit en première page des albums d’Astérix…) ; l’idée serait jolie si elle n’était cousue de fil blanc par le recours peu crédible et grammaticalement fautif (puisque les termes sont inversés) au breton moderne. Le cas d’« Ar c’herregi » (« les rochers ») n’est guère plus convaincant : même recours à un breton moderne et volonté de nommer, de façon trop évidente, les carrières alors encore exploitées. Il en va de même pour « Ar cae » (« près du retranchement ») qui s’inspire, toujours en breton moderne, de la présence du Camp de César pour construire de toutes pièces une étymologie à laquelle on hésite un peu de nos jours à adhérer.

Face à ces tentatives d’explication, l’hypothèse récemment émise par Patrice Lajoye dans un livre intitulé L’Arbre du Monde (aux Editions du CNRS, 2016) se révèle autrement séduisante. Plus méthodique et moins pittoresque, elle inscrit le nom d’Erquy dans une série de vingt-cinq de noms de lieux français : Percy, Ercé, Hercé… – d’origine gauloise et en lien avec l’appellation du chêne, en gaulois (p)ercos – dont l’initiale, instable, a tantôt subsisté, tantôt disparu comme c’est le cas dans le nom d’Erquy. Ce dernier évoquerait alors, à travers la référence au chêne, la divinité gauloise de l’orage, dont cet arbre est le symbole et que l’on célébrait au moment du solstice d’été ; ce dont semble se souvenir le patronage des paroisses concernées, confié soit à Saint Jean soit à Saint Pierre (chez nous flanqué de Saint Paul) qui sont fêtés à la fin juin.

Contributeur : Bernard Besnier

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Un commentaire

  1. Merci Bernard de cette mise au point. Ne faudrait-il pas alors abandonner le nom des habitants d’Erquy, Réginéens, au profit d’un terme plus proche d’Erquy. J’ai vu quelque part Erquiais, à l’orthographe près. Réginéen est bon pour le jeu de 1000 €. Au delà, il reste obscure.Eric

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