Un Pêcheur nommé «BONHOMME»

Une des figures emblématiques des pêcheurs durant les années 1960 et 1970 était connue pour sa gentillesse et sa « bonhomie ». Emile Lecan, dont le nom rappellera de nombreux souvenirs aux anciens d’Erquy, était né en décembre 1922 à Erquy, d’un père pêcheur et d’une mère mareyeur.

Celle-ci faisait aussi et surtout les tournées dans la campagne, jusque Ruca et Matignon. Elle vendait son poisson et « faisait son marché » en même temps : œufs, lait, beurre (qui à l’époque avait le bon goût de ce que les vaches mangeaient suivant les saisons : choux, navette, etc. …) et elle faisait aussi, bien sûr, le marché d’Erquy.

En juin 1937, Emile Lecan termine sa scolarité en obtenant le Certificat d’Etudes Primaires avec la mention ‘Bien’.

De mai 1945 à juin 1947, il est matelot sur le ‘Vazy’.

Puis, de juin 1947 à mi-1948, il fit quelques campagnes à Terre-Neuve en embarquant comme matelot à La Rochelle sur l’ ‘Avant-Garde’ et le ‘Duguay Noues’.

En Janvier 1949, il se marie avec Yvonne Michel. De cette union naîtra Maryvonne en mai 1953.

Il repart de février à juillet 1949 en embarquant à Bordeaux comme matelot de 5ème catégorie, à nouveau sur le ‘Duguay Noues’ puis sur le ‘Louis Legasse’. Il abandonnera alors la grande pêche.
Juillet 1950 : Emile et son frère Louis Lecan

A partir de 1950, il commence la pêche côtière et c’est pendant sa carrière de pêcheur rhoeginéen qu’on commença à le surnommer « Bonhomme » sur le port d’Erquy.

Ses bateaux seront successivement :
le ‘Vazy’ comme patron de mars 1950 à mars 1952,

le ‘Mon Désir’ comme matelot de mars à mai 1952,

la ‘Vonette’ comme patron de mai 1952 à août 1957,
le ‘Berceau du Marin’ comme patron de août 1957 à septembre 1967,

Le ‘Berceau du Marin’ fut acheté neuf aux Chantiers Daniel, quai Armand Dayot à Paimpol suivant un devis de février 1957 avec les spécificités suivantes : bateau de 20 pieds, coque cloutée, passe avant, caisson avant et arrière, perçage de la ligne d’arbre, batis du moteur, gouvernail, béquilles, mât, vergue, peinture et ferrures pour la somme de 298.000 francs [5.983 € en 2016], il fut livré le 20 août 1957.

le ‘Narval’ et le ‘P’tit Pêcheur’ en alternance comme patron 6ème catégorie de octobre 1967 à fin 1969. (son Livret Professionnel Maritime ne permet pas d’en savoir plus).

Il a acheté le Narval fin 1967 et a pu y installer deux dragues (d’où la forte hausse de tonnage des coquilles Saint-Jacques : + 50 % de 1968 sur 1967 et presque 100 % de 1969 sur 1967 ; mon père ne traînait qu’une seule drague sur le Berceau du Marin quand il pêchait la praire (« métier de bagnard », ça c’est ce que les marins disaient à l’époque car ils n’avaient pas toujours les treuils pour remonter la drague, ils faisaient souvent à la force des bras – en tout cas quand la drague arrivait sur le bord du bateau – ; et les praires se pêchaient dans des zones de cailloux; ils remontaient donc des tonnes de cailloux en même temps que les praires, cailloux qu’il fallait repasser par-dessus bord!). La coquille se pêchait dans le sable et donc c’était beaucoup moins dur physiquement. Voilà pourquoi il a changé de bateau à ce moment là : le moteur, plus puissant, lui permettait de tirer deux dragues et de remonter plus de tonnage. Son matelot était André Nicol, surnommé La Pipe.

Son dernier bateau fut le ‘Vazy 2’.

Ses carnets de pêches ont été conservés et nous ont fourni les résultats de ses prises sur une période qui s’étale de août 1953 à mai 1970.

1954 est la première année complète en termes de chiffres ; elle montre la prééminence de la Praire, du Maquereau et des Araignées dans l’activité : respectivement 17,350 tonnes, 1,843 tonnes et 1,163 tonnes. Les autres poissons sont la Roussette pour 581 kilos et le Lieu pour 112 kilos ; en plus, il y a eu 713 kilos de Moules et 452 kilos d’Oursins.
Des prix de vente sont quelquefois indiqués : la Praire de 60 à 160 francs le kilo ; l’Araignée à 100 francs le kilo ; le Maquereau de 180 à 200 francs le kilo ; le Lieu à 220 francs le kilo et l’Oursin à 150 francs le kilo.

1955 sera l’occasion de réaliser les mêmes types de pêche, mais surtout le meilleur score des 17 années étudiées en ce qui concerne les Moules, 1,164 tonnes et les Oursins, 520 kilos ! malgré un chiffre exceptionnel de 8,796 tonnes pour les Araignées, ce ne sera pas le record de la période.

De gauche à droite : François Guérin (Toto), Michel Leguen, Emile Lecan

L’année 1956 verra en février un nombre très important de jours de mauvais temps avec de la neige (18 jours). Les principales pêches resteront la Praire, 14,653 tonnes ; l’Araignée, 1,519 tonnes et le Maquereau, 1,170 tonnes.

Pour 1958, toujours les mêmes pêches, Praire, Maquereau, Araignée ; on notera le pic de tonnage pour la Praire, 33,482 tonnes, chiffre qui ira toujours en diminuant jusqu’à la fin des 17 années étudiées.

Le rythme des pêches continue en 1959 comme à l’accoutumée : de janvier à avril, la Praire, de mai à août, le Maquereau, et à nouveau la Praire de septembre à décembre. Le résultat de l’année nous donne 26,903 tonnes de Praire et 3,170 tonnes de Maquereau ; très peu d’Araignée, 160 kilos. Les trois derniers mois de l’année seront mouvementés car on comptera 18 jours de tempête.

En 1960, c’est le Maquereau qui remporte la palme du tonnage de la période : 4,333 tonnes ; tandis que la Praire descend à 15,255 tonnes. On verra apparaître 538 kilos de Roussette et 139 kilos de Mulet.

1961 est une année très équilibrée car on comptera 9,555 tonnes de Praires, 4,053 tonnes d’Araignées et 3,610 tonnes de Maquereaux.

Un énorme changement se produit en 1962 : la pêche à la Coquille Saint-Jacques fait son apparition. Elle supplante dès cette année la Praire (3,182 tonnes) en représentant 7,344 tonnes. Le Maquereau continue à être bien représenté par 4,138 tonnes.

En 1963, le pli est pris ; la Coquille totalise 16,625 tonnes tandis que le Maquereau revient à 2,692 tonnes et la Praire descend à 1,127 tonnes.

1964 confirme cette tendance, la Coquille atteint 17,333 tonnes, le Maquereau ne représente plus que 1,982 tonnes et la Praire 610 kilos. La campagne de pêche à la Coquille Saint-Jacques s’étend du 1er janvier au 30 avril et elle reprend de mi-octobre au 31 décembre.

1965 et 1966 voit un rééquilibrage Coquille Saint-Jacques – Praire avec environ 10 tonnes pour la Coquille et 2 tonnes pour la Praire. C’est l’occasion de constater le record des prises de Lieu (341 kilos) et de Homard (166 kilos) sur la période étudiée. L’Araignée refait son apparition avec 1,1 tonnes de moyenne.

La prééminence de la Coquille Saint-Jacques repart en 1967 avec 14,703 tonnes. C’est avec l’Araignée, 3,556 tonnes et le Maquereau, 2,116 tonnes, que se réalise la plus grande partie de la pêche.

La tendance est confirmée ; la Coquille Saint-Jacques représente 22 tonnes mais l’Araignée réalise son record de la période avec 9 tonnes ; la Praire passe à 3,5 tonnes mais le Maquereau devient anecdotique à 400 kilos.

La dernière année étudiée est 1969. record pour la Coquille Saint-Jacques : 27,108 tonnes ; 6,556 tonnes d’Araignées et 2,046 tonnes de Praires. Record également pour la Raie avec 182 kilos.

En 1969, avec des CoquillesSaint-Jacques en cageots.

En 1969, avec des CoquillesSaint-Jacques en cageots.

Au-delà des principales pêches évoquées ci-dessus, on trouve également d’autres espèces dans les carnets d’Emile Lecan ; elles ne sont pas présentes régulièrement, ni dans des quantités très importantes, néanmoins, nous pouvons les citer :
Ange au chat, Brème de mer, Bulot, Congre, Hâ, Homard, Lotte, Ormeau, Orphie, Pétoncle, Ripon, Sole, Tacaud, Turbot, Vieille.

D’autres noms d’espèces ont également été relevés et méritent d’être cités car peu connues :
– les Grados, ce sont des éperlans (ils étaient pêchés à la senne, un filet qu’un groupe de marins possédaient en commun, et ils le mettaient dans la baie, devant la plage du centre, lorsqu’ils avaient repéré un banc de poissons. Je me souviens, c’était souvent en été, le soir et c’était une attraction pour les estivants de l’époque et pour nous aussi les enfants ! Parfois, cette senne était utilisée en hiver et là ils prenaient des mulets ou bien, plus rarement, des bars. La pêche était ensuite partagée entre eux tous (et une part pour le filet, usure et entretien, de mémoire). Je crois qu’ils ont pris des tonnes de bar en janvier 1970. Ce fut un sacré évènement dans le monde de la pêche !
– les Lisettes, des petits maquereaux (on les appelait aussi Saint-Jean car c’était souvent à l’époque de la Saint-Jean, fin juin, qu’ils étaient pêchés).
– les Lisses : un sorte de congre je crois ; un gros poisson en tout cas.
– les Parisiennes : des étrilles je crois.
– le Ripon, c’est le chinchard.
– la Grue : ce sont des orphies, un poisson avec un long « bec », les arêtes sont vertes (ce n’est pas très bon…). Ils en prenaient à la ligne, lorsqu’ils pêchaient le maquereau mais pas beaucoup. On en faisait de la soupe me semble-t-il.

Il passe une grande partie de sa vie dans sa maison sur le port « au fil de l’eau » jusque l’achat de la maison de ses parents à Tu-es-Roc, rue des Terre Neuvas.

Il participe au Syndicat des Pêcheurs d’Erquy de 1961 à 1972. L’association passera de 60 adhérents en 1962 à 115 en 1971, dont la cotisation annuelle passera de 5,00 francs à 20,00 francs. Les ressources seront notamment alimentées par le bénéfice obtenu par l’organisation des ‘Régates’ chaque année.

Il prend sa retraite en 1977 à 55 ans. Il a continué à aller à la pêche (maquereaux, lieus, …, tout ce qui se pêchait à la ligne) aux beaux jours, avec son frère Jean, sur le petit bateau de ce dernier le ‘Jacky-Yan’.

Du jour où Jean est mort, en 1984, ‘Bonhomme’ n’a plus jamais mis les pieds sur un bateau et 3 ans plus tard, il décède, lui aussi, de la même cause : un infarctus.

ANNEXE :

Extrait du Code de Travail Maritime (loi du 13 décembre 1926)
Articles inclus dans le Livret Professionnel Maritime

Art. 16 – Le marin est tenu de se rendre sur le navire à bord duquel il doit exécuter son service, au jour et à l’heure qui lui sont indiqués par l’armateur, par son représentant ou par le capitaine.

Art. 17 – Le marin doit accomplir son service dans les conditions déterminées par le contrat et par les lois, règlements et usages en vigueur.

Art. 18 – Sauf dans les circonstances de force majeure et celles ou le salut du navire, des personnes embarquées ou de la cargaison est en jeu, circonstances dont le capitaine est seul juge, le marin n’est pas tenu, à moins d’une convention contraire, d’accomplir un travail incombant à une catégorie de personnel autre que celle dans laquelle il est engagé.

Art. 19 – Le capitaine détermine les conditions dans lesquelles le marin qui n’est pas de service peut descendre à terre.

Art. 20 – Le marin est tenu d’obéir aux ordres de ses supérieurs concernant le service du navire, et d’avoir soin du navire et de la cargaison.
Il doit être sobre, respectueux envers ses supérieurs et s’abstenir de toutes paroles grossières à l’égard de toute personne à bord.

Art. 21 – Le marin est tenu d’accomplir, en dehors des heures de service, le travail de mise en état de propreté de son poste d’équipage, des annexes de ce poste, de ses objets de couchage et des ustensiles de plat, sans que ce travail puisse donner lieu à allocation supplémentaire.

Art. 22 – Le marin est tenu de travailler au sauvetage du navire, de ces débris, des effets naufragés et de la cargaison.

Art. 23 – En l’absence d’une clause du contrat l’y autorisant, le marin ne peut, sous aucun prétexte, charger dans le navire aucune marchandise pour son propre compte, sans la permission de l’armateur ou de son représentant.
…/…

Art. 24 – La durée du travail effectif des marins ne peut excéder, quelle que soit la catégorie du personnel à laquelle ils appartiennent, soit huit heures par jour, soit quarant-huit heures par semaine, soit une durée d’une limitation équivalente, établie sur une période de temps autre que la semaine. …/…

Art. 26 – Hors les circonstances de force majeure et celles où le salut du navire, des personnes embarquées ou de la cargaison est en jeu, circonstances dont le capitaine est seul juge, toutes heures de travail commandées au-delà des limites fixées en exécution de l’article 24 ci-dessus donne lieu à une allocation supplémentaire dont le montant est réglé par les contrats et usages.

Art. 27 – A la mer et sur les rades foraines, le personnel du pont et celui de la machine marchent par quart.
Chaque quart du personnel des machines doit comprendre au moins un homme par trois fourneaux, sauf les exceptions à cette règle, déterminées par règlement d’administration publique. L’armateur ou le capitaine est tenu de faire connaître aux marins qui vont s’engager, et de déclarer, lors de la confection du rôle d’équipage, à la suite des conditions d’engagement, la composition de l’équipage, le nombre des fourneaux devant être mis en service dans la chaufferie et, s’il y a lieu, les éléments prévus au règlement d’administration publique ci-dessus mentionné et servant de base au calcul de l’effectif.
Le chauffeur, pendant son quart, ne doit pas être distrait du service de la chauffe, si ce n’est pour les besoins urgents de la machine.
A chaque quart, le personnel des machines, de concert avec celui du pont, assure l’enlèvement des escarbilles.

Art. 28 – Sauf des exceptions et dérogations prévues à l’article 30 ci-après, un repos complet d’une journée par semaine doit être accordé au marin lorsque l’engagement maritime est d’une durée supérieure à six jours.
Sauf décision contraire du capitaine, le dimanche est le jour consacré au repos hebdomadaire.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux engagements à la pêche.

Art. 29 – Une journée de repos hebdomadaire s’entend de vingt-quatre heures de repos consécutives, comptées à partir de l’heure normale où le marin intéressé devrait prendre son travail journalier.
Tout travail effectué le jour du repos hebdomadaire en suspend l’effet, à moins que ce travail ne soit occasionné par un cas fortuit et que sa durée n’exède pas deux heures.

Art. 30 – Ne sont pas considérées comme portant atteintes à la règle du repos hebdomadaire, et sont obligatoires sans aucune compensation de la part de l’armateur, tous travaux nécéssités par les circonstances de force majeure et celles où le salut du navire, des personnes embarquées ou de la cargaison est en jeu, circonstances dont le capitaine est seul juge, ou par les opérations d’assistance.

Art. 31 – Le marin est rémunéré soit à salaires fixes, soit à profits éventuels, soit par une combinaison de ces deux modes de rémunération.

Art. 32 – Les parts de profit, de de pêche et de fret et les primes et allocations de toute nature stipulées dans le contrat sont, pour l’application de la présente loi, considérées comme salaires.
…/…
Art. 46 – Les marins d’un navire qui a prêté assistance, à l’exception des équipages des bâtiments affectés aux entreprises de sauvetage, ont droit à une part de la rémunération allouée au navire assistant, dans les conditions fixées par l’article 6 de la loi du 29 avril 1916.

Art. 47 – Le marin qui est appelé à remplir une fonction autre que celle pour laquelle il est engagé et comportant un salaire plus élevé que le sien a droit à une augmentation de salaire calculée d’après la différence existant entre son salaire et le salaire afférent à la fonction qu’il a temporairement remplie.
…/…
Art. 72 – Les marins ont droit à la nourriture ou à une allocation équivalente, pendant toute l adurée d eleur inscription au rôle d’équipage.
…/…
Art. 75 – Il est interdit à tout armateur de charger à forfait le capitaine ou un membre quelconque de l’état-major de la nourriture de l’équipage.

Art. 76 – Nul ne peut introduire des boissons alcooliques à bord sans l’autorisation du capitaine.
…/…
Art. 79 – Le marin est payé de ses salaires et soigné au frais du navire, s’il est blessé au service du navire ou s’il tombe malade, pendant le cours de son embarquement, après que le navire a quitté le port où le marin a été embarqué. …
…/…
Art. 90 – Sauf convention contraire, le marin qui n’est pas débarqué ou qui n’est pas rapatrié à son port français d’embarquement, a droit à la conduite jusqu’à ce port.

Contributeur : Sylvie Moret et Maryvonne Chalvet

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