Extraction de la marne à Erquy

En 1870, plage du Bourg , une photo montre plusieurs tas de marne en attente d’être chargés sur des charrettes. Ils ont passé quelques jours sous la pluie afin de libérer la marne d’un excès de sel.
marne_1La marne, vase grise-bleue, gluante, malléable, glissante, difficile à extraire, est un mélange de calcaire, d’argile et de sable à pourcentage variable.
Cette marne était ensuite chargée sur des charrettes pour gagner les fermes, où après son broyage sous forme de poudre, elle était répandue sur le sol à travers les champs comme amendement pour les terres pauvres en chaux (marne contenant plus de 50 % de calcaire), trop légères (marne argileuse, plus de 50 % d’argile), ou trop compactes (marne siliceuse , plus de 50 % de sable).
marne_2La plage du Bourg et le chemin de la Saline, encombrés par une multitude de charrettes provoquant des embouteillages, montraient par leurs ornières profondes, les dégâts causés par ce trafic intense. Sur cette même plage du Bourg, le sable pour les constructions, le goëmon pour fertiliser les terres, suivaient le même cheminement. Jean-Pierre Le Gal la Salle, dans son livre, fait mention d’une allée charretière quittant la plage de Saint-Pabu, empruntée par les charrois pour transporter sable et goëmon vers l’intérieur des terres… Certains paysans avaient l’obligation de marnage dans leurs contrats de fermage (« En 1418, la seigneurerie de Bien-Assis levait un droit de péage sur le « chemin dit des marniers » montant de l’anse de la plage des Cargouët (Saint-Pabu) vers La Ville-Denais, elle levait 12 deniers par an sur chaque homme conduisant cheval et charrette, venant de la mer à aller au village de Saint-Pabu, chargé de saulne de mer, sablon marin, goëmon… Il s’agit des marnes et goëmons qui depuis l’époque des défrichements médiévaux servaient d’amendements pour les cultures. En 1583, la perception de ce droit était affermée à Jacques Gadet habitant une maison sise au bord ouest de la route en face de La Vallée-Mahé au dessous les landes-Gadet… »).
Des siècles durant, sans un contrôle véritable, cette extraction va se poursuivre impunément, vrai pillage qui va modifier sensiblement l’aspect de l’estran et de la dune… Cette dégradation du littoral va cesser en partie dans les années 1900 et totalement grâce au rôle du Syndicat d’Initiative (vers 1910…), dont les membres furent effarés par les effets négatifs de ce pillage. En 1909, le Syndicat d’Initiative souhaite que soient interdits tous dépôts de flèche ou marne dans les passages fréquentés de la dune à l’endroit des « Ecrites ». En 1912, le Syndicat d’Initiative évoque le problème du prélèvement de sable sur la plage et veille à ce que les attelages des enleveurs de marne ne gênent pas la circulation. Le tourisme se développe, les plages ne peuvent plus supporter une telle agression et l’interdiction de ramassage s’impose !!! En 1931, le Syndicat d’Initiative déclare : « le problème du prélèvement de sable sur la plage est grave, nous marchons vers la Ruine de nos plages… ». En 2016, sur la plage du Bourg, la marne s’étend dans la partie sud-est, face à Ker Maria.
marne_3L’ancien marais d’Erquy, devait se prolonger beaucoup plus à l’ouest (sa superficie en 1800 était de 12,5 hectares environ) aussi la mer gagnant sur la dune et le marais a permis la découverte de la marne.
marne_4Le 29 janvier 1911, on peut lire dans Ouest-Eclair : « Les étrangers qui nous viennent si nombreux pendant l’été s’arrêtent sur nos côtes si pittoresques, mais à peine pénètrent-ils au centre de la Bretagne. La saison terminée, voici le jugement qu’ils formulent sur notre province : un bien joli pays, disent-ils, mais comme il est pauvre !! En Bretagne, il y a des industries prospères : élevage de bovins, élevage hippique, cultures diverses… Le sol est extrêmement fertile. Plus on approche de la mer, plus sa fécondité augmente. Mais il perdrait vite sa fertilité naturelle si on ne le travaillait pas comme on le fait. Ce n’est pas comme ailleurs le travail accompli par des machines agricoles perfectionnées qu’il lui faut, non, c’est uniquement le travail manuel, un travail fini, minutieux, très soigné. Chaque champ est bêché, retourné, sarclé absolument comme un carré de jardin, on ne néglige aucun coin, on cultive même les fossés !! Dans cette terre si précieuse, si riche, on enfouit d’énormes quantités d’engrais (surtout des engrais marins (sable, goëmon…). Travaillée de la sorte, cette terre ne peut pas ne pas donner des résultats excellents !! ».
Historique de l’Extraction de la marne
(source : délibérations du Conseil Municipal)
Le 21 décembre 1834 :
Une délibération a lieu au sujet de la coupe et de la récolte du goëmon. Elle est autorisée du 4 janvier 1835 au 4 avril 1835 sur tout le littoral de la commune d’Erquy (rochers et ilôts compris).
En 1836 :
Le Conseil Municipal a cru ne devoir voter qu’une journée de « travail en nature » pour 1836 en raison de ce que les communications utilisées par les communes voisines venant chercher « journellement » la marne à Erquy, la traverse dans toute sa longueur, ce qui nécéssite aux habitants d’Erquy l’obligation de réparer personnellement des mauvais passages, les charrettes pesamment chargées rendant impraticables ces chemins en hiver pour leur communication journalière…. C’est surtout les propriétaires des charrettes qui sont obligés de travailler à cette réparation en trop grand nombre de journées de travail…. chaque année. Les propriétaires riverains sont surchargés de travail !!
Le 7 novembre 1839 :
Une seule coupe de goëmon est permise du 8 janvier 1840 au 8 avril 1840, passé lequel, il ne sera permis à aucun habitant d’en couper ni arracher. Une grande coupe serait très nuisible pour la reproduction de cette plante marine et au poisson dont elle sert d’abri pour la déposition du frai.
Le 8 mai 1843 :
Les besoins de l’agriculture réclament impérativement des moyens de communications pour l’enlèvement de la marne. Les chemins de grande vicinalité sont insuffisants pour cet objet. Il faut absolument des chemins praticables pour arriver à la plage. Vote de 5 centimes additionnels pour y parvenir.
Le 8 mai 1848 :
Une demande de concession est déposée pour le lai de mer au lieu dit de La Vallée-Denis (lagune des Hôpitaux), terrain baigné par la mer les jours de grande marée. La commune s’oppose à la concession – 6 hectares sont à conserver pour servir de terrain vague au dépôt de marne dans les zones sablonneuses et pour servir de pacage…. Les riverains sont opposés à la vente du terrain car ce lieu est l’unique ressource pour le pacage de leurs bestiaux, pratiquement leur seul moyen de subsistance.
Le 9 février 1859 :
Parcelle au nord des champs Mahé :
L’acquéreur doit laisser libre aux abords du chemin du Gault et de la côte du Guen un espace de 3 à 4 ares pour servir à déposer les engrais de mer et qu’il devra souffrir sur toute la longueur de la parcelle n°6 le chemin de ronde pour l’administration des Douanes.
Le 10 novembre 1859 :
Le Conseil Municipal demande le classement d’un chemin menant à la vallée de Saint-Pabu par le lieu dit des Aulnais et celui de l’Orme au loup, pour déboucher à la grève de Saint-Pabu… Ce chemin permettra plus facilement l’enlèvement des engrais de mer.
Le 29 octobre 1871 :
M. le Maire expose au Conseil Municipal que le tronçon de chemin de petite vicinalité n°7 du bourg à la maison des frères Procaud et de cet endroit au lieu dit de la Chaussée sert journellement pour l’enlèvement des engrais marins et le transport des denrées lors de leur embarquement, qu’il serait en conséquence à désirer que cette voie soit classée de grande vicinalité. Le Conseil Municipal considérant que cette voie est très fréquentée par les habitants d’Erquy et ceux des communes riveraines demande son classement en chemin de grande vicinalité.
Le 20 août 1899 :
L’un des membres du Conseil Municipal prie M. le Maire de demander au Conseil Municipal son avis au sujet de l’enlèvement des sables aux abords du chemin de petite vicinalité à son arrivée sur la plage de Caroual. Le Conseil Municipal reconnaît comme constant, qu’il se fait des enlèvements de sable à l’endroit sus-indiqué. Il lui paraît opportun tant pour la conservation du rivage que de la rampe d’accès au chemin n°1 que ces enlèvements de sable n’aient lieu qu’à un certain nombre de mètres du plein de mars et de la rampe d’accès de la route.
Il est parfois utile de déblayer les sables que les vents ont accumulé sur la route, mais il est aussi nécéssaire d’empêcher l’enlèvement des sables à l’arrivée du chemin sur la grève de Caroual qu’à 50 m du plein de mars et que le règlement qui est appliqué à la grève du Bourg le soit aussi à la plage de Caroual.
Il pense que l’administration peut bien faire poser un poteau aux abords de la grève, proche du chemin, pour indiquer au public la zone réservée (50 m du rivage) cela étant suffisant pour empêcher les contraventions au règlement.
Le 28 février 1904 :
Le Conseil Municipal, considérant que la grève de Caroual est la seule qui puisse encorer attirer à Erquy quelques baigneurs (celle du port étant déjà complètement détériorée par l’enlèvement des marnes ou engrais marins), attendu que les engrais marins sont presque uniquement extraits par les cultivateurs des communes voisines qui de ce fait dégradent les routes de la commune y accédant !
Attendu que la sus-dite plage de Caroual est tout l’avenir de la station balnéaire d’Erquy, qui va prendre de plus en plus d’extension !! Le Conseil Municipal demande que seuls les habitants d’Erquy et ceux possédant des terres en cette commune puissent continuer à prendre des marnes comme par le passé sur la grève de Caroual.

Le 27 février 1929 :
Demande à la préfecture l’autorisation de nettoyage de la grève. Interdire tous dépôts sur le domaine maritime. Demande de nivellement des terrains face à la propriété Rouget. Demande d’établissement en face du « café Jumeaux » d’une haie destinée à délimiter le passage des charrettes allant à la « marne » et le dépôt de celle-ci.
Le 29 août 1909 :
Demande de protection en face du « café Cardin » pour empêcher l’envahissement de la dune par les cultivateurs qui viennent chercher de la marne.
Le 14 novembre 1909 :
Rocher de Follet : Autorisation est donnée de traverser à niveau par une voie ferrée la partie réservée pour le dépôt des engrais de mer, terrain situé en face de la Fontaine aux ânes, sous la condition express de ne pas intercepter la circulation sur les routes qui se croisent en cet endroit, ni gêner les dépôts d’engrais précités.
Le 4 juin 1910 :
M. le Maire communique une pétition de M. Barthe Saint Lambert par laquelle ce propriétaire, habitant Paris, sollicite l’acquisition d’une portion de terrain communal près de la grève de l’Ourtois. Le Conseil Municipal s’oppose à la cession de la Fontaine et du lavoir ainsi que tout le terrain descendant à la mer. Le Conseil Municipal consent à céder, à raison de 1 franc le m², la portion réservée pour le dépôt des engrais de mer, déduction faite d’une lisière ayant 6 m de largeur longeant immédiatement le rivage.
Le 29 août 1926 :
Le Conseil Municipal donne toute délégation nécessaire à M. le Maire pour obtenir de l’administration des Ponts et Chaussées et de la Marine, l’interdiction de toute extraction de sable et gravier sur les grèves de la commune d’ Erquy.
Le 21 novembre 1926 :
Nomination d’une commission pour l’étude de la question de l’enlèvement des sables et des graviers et pour répondre à un questionnaire adressé par la Préfecture.
Le 5 décembre 1926 :
Le Conseil Municipal maintient sa délibération du 29 août 1926 tendant à l’interdiction de toute extraction de matériaux sur les grèves de la commune, spécialement sur celles du Bourg et de Caroual fréquentées par les baigneurs. L’extraction de la marne ou autres engrais marins pourrait continuer à être autorisée sur la grève du Bourg, à une distance au moins de 100 m du plein du mois de mars.
Le Conseil Municipal insiste d’autant plus sur sa demande que ces extractions font un tort évident à ces plages et cela pourra profiter à d’autres villes comme Pléneuf, Sables d’Or, Yffiniac, etc, où les dits matériaux sont exportés.
Par suite de l’enlèvement de sable fin, la plage du Bourg devient de plus en plus impraticable, ce qui nuit aux propriétaires des villas et hôtels tant du point de vue de la location que de la vente !!
Le sable en abondance est moins cher que dans bien d’autres localités : 10 francs le m3 (en admettant que les constructions faites avec les matériaux extraits de la grève sont meilleur marché, elles sont sûrement anti-hygiéniques et ne paraissent devoir être encouragées, attendu que les murs en agglomérés, imprégnés de sel marin sont d’une humidité constante qui ne disparaît jamais !!).
Beaucoup de propriétaires regrettent déjà d’avoir employé ces matériaux. Le Conseil Municipal espère que M. le Préfet prendra en considération cette demande.
Le 19 février 1928 :
Le Conseil Municipal décide de louer les grèves pour extraire 500 m3 de graviers, sables, etc….
Le 07 octobre 1928 :
Le Conseil Municipal décide de céder 400 m3 de sable et de gravier de la grève d’Erquy aux entrepreneurs et d’en réserver 100 m3 pour les habitants d’Erquy. Le Conseil Municipal prie le service des Douanes de bien vouloir prêter son concours pour la surveillance. Il fixe à 5 francs le prix du m3.
Le 23 novembre 1928 :
Le Conseil Municipal prie M. Joseph Erhel et M. Becquet de bien vouloir exercer une surveillance sur l’enlèvement des sables et des graviers de la grève.
Le 16 décembre 1928 :
Afin d’assurer le contrôle du sable et du gravier, le Conseil Municipal décide que l’enlèvement aura lieu pour les entrepreneurs le samedi seulement et que tout enlèvement sera autorisé pendant la saison balnéaire du 1 juillet au 1 octobre de chaque année … Le Conseil Municipal, considérant que l’enlèvement du sable et de graviers sur la plage du Bourg menace la sécurité des habitants de la grève, interdit à partir de ce jour toute extraction et prie M. le Maire de bien vouloir y tenir la main !!
Le 2 juin 1929 :
Le Conseil Municipal autorise l’enlèvement de gravier sur les grèves de la pointe de Caroual jusqu’à la limite de Pléneuf et la Pacaleuc (?) au prix de 5 francs le m3 et l’interdiction complète sur celles du Bourg et de Caroual.
Le 9 février 1930 :
Le Conseil Municipal autorise temporairement l’enlèvement des cailloux seulement et maintient l’interdiction d’extraire du gravier mélangé de sable dans la partie de la grève du Bourg comprise entre le bâtiment du bateau de sauvetage, le chemin d’accès au port et le vieux quai de la Chaussée et partie limitée par une ligne droite partant de chez M. Besnier, allant à l’extrémité ouest de ce quai.
Le 23 novembre 1930 :
Le Conseil Municipal délègue M. Briend Aimé, Conseiller municipal, pour la surveillance et le contrôle de l’enlèvement de graviers et de sable de la grève du Bourg (partie comprise entre le bateau de sauvetage et le chemin d’accès au port d’Erquy).
Le 8 février 1931 :
Le Maire, présente au Conseil Municipal le vœu émis par le Syndicat d’Initiative que soit surveillé efficacement l’enlèvement des « galets » sur la grève du Bourg.
Le 15 février 1931 :
Redevance domaniale : le Conseil Municipal fait observer qu’une somme de 150 francs a été versée au domaine par M. Garnier pour extraction de 30 m3 de graviers dans les grèves d’Erquy alors que comme précédemment la commune a loué les grèves pour l’extraction de gravier en 1931 et le Conseil demande à ce qu’il lui soit tenu compte de ce versement.
Le 22 novembre 1931 :
La commune avait demandé la location jusqu’au 31 décembre 1931 des plages d’Erquy dans l’espoir qu’une surveillance des extractions pourrait empêcher des abus de se commettre … Le résultat a été absolument contraire aux prévisions !! Il est donc urgent d’y mettre ordre si nous voulons conserver en bon état les plages d’Erquy (Bourg et Caroual) qui font la richesse de ce pays !! Dans ces conditions et étant donné que des extractions sont autorisées sur les grèves de Saint-Pabu et de la Pacaleuc (?), cela est suffisant pour permettre aux intéressés de se procurer les graviers et le sable nécesaires.
En conséquence, le Conseil Municipal demande à M. le Préfet de bien vouloir prononcer l’interdiction complète et toute l’année et à partir du 1 janvier 1932 de toute extraction sur les plages du Bourg et de Caroual.
Le 19 décembre 1931 :
Il faut interdire totalement l’enlèvement de « sable, marne, graviers » sur les grèves…. La plage du Bourg est totalement ravagée !!
Le 4 avril 1952 :
Il faut interdire l’enlèvement de sable sur la dune par les particuliers qui creusent des trous du plus mauvais effet !!

Contribution de Claude Spindler, Jeannine Fassier et Sylvie Morêt.

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